Bonjour Monsieur Courbet !

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Camille Lévêque-Claudet Cet automne, deux expositions mettent Gustave Courbet à l'honneur. Les Musées d’art et d'histoire de Genève s’intéressent aux années suisses de l’artiste, tandis que la Fondation Beyeler s’attache à montrer la modernité du peintre. Qui est l’homme qui, tour à tour, se représente en fumeur de pipe ou violoncelliste, dandy assoupi, artiste tourmenté ou amant blessé ? Gustave Courbet. Né en 1819 à Ornans, en Franche-Comté, il arrive à Paris en 1839 afin d’y étudier le droit. Désirant embrasser la carrière d’artiste plutôt que celle de juriste, il s’inscrit dès l’année suivante à l’académie Suisse, pour travailler d’après le modèle vivant, et, en outre, étudie au Louvre l’art des maîtres. C’est dans ses autoportraits que se mettent en place les références visuelles de l’artiste et qu’apparaissent, pour la première fois, les premiers signes de son talent de compositeur d’images. « Personne n’a jamais peint de cette façon-là ! » Bien qu’installé à Paris pendant la majeure partie de sa carrière, Courbet ne fait pas de la capitale française le sujet de ses tableaux. Le peintre est un homme de terroir marqué au plus profond par sa terre natale qui le poursuit jusque dans son atelier parisien. Plus que l’observation directe, ce sont la mémoire et la sensibilité qui nourrissent son travail. Et ni les railleries dont les Franc-Comtois font l’objet, ni l’image d'une région étrange et étrangère aux yeux des parisiens ne dissuadent l’artiste de représenter sa région natale : ses paysages, ses habitants, ses coutumes, dans un rendu...
Camille Lévêque-Claudet
Camille Lévêque-Claudet

Cet automne, deux expositions mettent Gustave Courbet à l’honneur. Les Musées d’art et d’histoire de Genève s’intéressent aux années suisses de l’artiste, tandis que la Fondation Beyeler s’attache à montrer la modernité du peintre.

Qui est l’homme qui, tour à tour, se représente en fumeur de pipe ou violoncelliste, dandy assoupi, artiste tourmenté ou amant blessé ? Gustave Courbet. Né en 1819 à Ornans, en Franche-Comté, il arrive à Paris en 1839 afin d’y étudier le droit. Désirant embrasser la carrière d’artiste plutôt que celle de juriste, il s’inscrit dès l’année suivante à l’académie Suisse, pour travailler d’après le modèle vivant, et, en outre, étudie au Louvre l’art des maîtres. C’est dans ses autoportraits que se mettent en place les références visuelles de l’artiste et qu’apparaissent, pour la première fois, les premiers signes de son talent de compositeur d’images.

« Personne n’a jamais peint de cette façon-là ! »

Bien qu’installé à Paris pendant la majeure partie de sa carrière, Courbet ne fait pas de la capitale française le sujet de ses tableaux. Le peintre est un homme de terroir marqué au plus profond par sa terre natale qui le poursuit jusque dans son atelier parisien. Plus que l’observation directe, ce sont la mémoire et la sensibilité qui nourrissent son travail. Et ni les railleries dont les Franc-Comtois font l’objet, ni l’image d’une région étrange et étrangère aux yeux des parisiens ne dissuadent l’artiste de représenter sa région natale : ses paysages, ses habitants, ses coutumes, dans un rendu direct et brutal, sans idéalisation aucune, parfois à l’échelle, comme dans Une après-dînée à Ornans (1849, Musée des Beaux-Arts de Lille). Avec Un enterrement à Ornans (1849-1850, Paris, Musée d’Orsay), Courbet dissout les frontières entre les genres, bouscule les cloisonnements des conventions pour porter l’intime, le familier, voire le banal, au rang de la peinture d’histoire dans son expression matérielle absolue, le grand format. Ce qui fera dire à l’un de ses plus fervents partisans, le critique Francis Wey : « Personne n’a jamais peint de cette façon-là. » En élevant une scène de mœurs rurales jusqu’au sommet de la hiérarchie des genres, Courbet rompt brutalement avec la tradition et impose une relecture de la peinture d’histoire, une révision de son contenu comme de sa forme.

De 1850 à 1855, le peintre occupe le devant de la scène artistique, par des envois annuels au Salon et par l’organisation, en marge de l’Exposition universelle de 1855, d’une exposition personnelle de ses œuvres dans le Pavillon du Réalisme, un bâtiment qu’il fait construire pour l’occasion. En exposant portraits, nus, paysages et scènes rurales, Courbet rend tangible son « manifeste pictural » et affirme son ambition de s’inscrire dans l’histoire de la peinture. À preuve que le clou de l’exposition, L’Atelier du peintre (1855, Musée d’Orsay), montre l’artiste au cœur de la société et engagé dans l’acte créateur.

Courbet paysagiste

Au centre de L’Atelier du peintre, c’est un tableau de paysage franc-comtois qui est mis en exergue par le maître d’Ornans, que ce motif habite tout au long de son œuvre. Pour celui qui admet comme postulat que « pour peindre un paysage, il faut le connaître », c’est de toute évidence vers la nature de sa région natale qu’il doit se tourner. Le peintre fait alors des hauts plateaux calcaires, des rivières et des profondes vallées de Franche-Comté – des sites qu’il est, pour nombre d’entre eux, le premier à peindre – ses motifs de prédilection. S’il restitue avec réalisme la topographie des lieux qu’il représente, conférant une dimension collective à ces derniers, Courbet fait aussi sienne la réalité d’un site en prenant des libertés avec la vérité. Au rendu rétinien du paysage, l’artiste préfère l’expression de la compréhension subjective et intérieure de celui-ci. Peignant à plusieurs reprises un même lieu, Courbet ne cherche pas à traduire les variations apportées par les heures ou les saisons, mais multiplie les points de vue afin de saisir la totalité, l’essence d’un motif tout comme la nostalgie et le sentiment de solitude qui l’envahissent. L’artiste s’enfonce dans la nature, matérialise roches friables, feuillages opaques et eaux insondables, dans une matière dense et rugueuse, appliquée au couteau à palette.

C’est dans les paysages de bord de mer, peints en Normandie, au côté d’Eugène Boudin, rencontré en 1859, que Courbet éclaircit sa palette, qu’il inonde ses tableaux de lumière et permet aux ciels de se déployer. Avec la Vague, peinte à Etretat à l’été 1869, l’artiste innove dans le domaine de la peinture de paysages de mer. Il invente un motif nouveau, une vague, fermement maçonnée par les épais passages du couteau à palette sur le support, vue frontalement et occupant toute la largeur de la toile.

Dans la seconde moitié des années 1850, Courbet continue sa refonte du champ pictural, donnant à la scène de chasse l’ambition de la peinture d’histoire. Il va même jusqu’à faire de la neige – dont il traduit la large palette de couleurs et de textures – le sujet d’un ensemble de toiles.

Revisiter, actualiser, transgresser

Durant la même période, Courbet s’attaque au monde contemporain à travers la scène de genre et le tableau de mœurs. Avec Les Demoiselles des bords de la Seine (1856-1857, Paris, musée du Petit Palais), s’éloignant à la fois du monde rural et du réalisme militant, l’artiste revisite la représentation classique de la figure dans un paysage, à l’aune des plaisirs des bords de Seine. Encore une fois, dans l’iconographie comme dans la technique, le peintre se plaît à bousculer la tradition pour mieux l’actualiser. À Trouville en 1865 et à Deauville l’année suivante, il réitère cette démarche avec le portrait mondain, car même dans l’exercice du tableau de commande, le maître sait rester inventif.

En se réappropriant le genre du nu, Courbet décide définitivement de défier l’Académie sur son terrain et de s’inscrire dans l’histoire de la peinture. Adieu corps imberbes, formes parfaites et chairs lisses. Le peintre offre la toile des Baigneuses (1853, Montpellier, musée Fabre) et celle de La Source (1868, Paris, musée d’Orsay) aux femmes d’âge mûr, aux formes rondes et robustes, rendues sans concession à la beauté idéale, que les critiques et les visiteurs fustigent aussi bien au nom d’une morale bafouée que d’une esthétique inappropriée.

Comme pour les paysages, le rapport entre le peintre et les corps nus relève de l’intime, surtout quand l’artiste s’en approche au plus près. De la même façon qu’il avait écarté le pittoresque escarpement rocheux de la source de la Loue, resserrant le cadrage sur la grotte d’où s’échappe l’eau, Courbet, pour L’Origine du monde (1866) – prêtée exceptionnellement cet automne à la Fondation Beyeler par le musée d’Orsay – fait des profondeurs mystérieuses de l’intimité féminine – le sexe – le sujet de son tableau. Par cette brutale et dérangeante représentation métonymique du corps féminin, évoquant par son cadrage les images pornographiques contemporaines, mais dont l’artiste a évacué tout érotisme ou caractère obscène, Courbet transgresse les interdits moraux et les conventions du genre.

Colonne Vendôme « déboulonnée », Courbet exilé

Cependant, un événement inattendu vient perturber sa carrière menée tambour battant. Bien qu’il soit une figure contestataire, ce n’est qu’en 1870 qu’il s’engage pleinement dans l’action publique. Élu à la Commission des arts en septembre 1870, l’artiste propose la démolition de la colonne Vendôme, symbole napoléonien. La Commune de Paris, au pouvoir, s’en charge le 16 mai 1871.

Coup de théâtre. Courbet est arrêté le 7 juin 1871 et poursuivi pour « attentat, excitation et levée de troupes, usurpation de fonctions et complicité de destruction de monuments ». Le 2 septembre 1871, l’artiste est condamné à une peine de six mois d’emprisonnement et à une amende de 500 francs pour sa participation à la destruction de la colonne Vendôme.

Libéré le 2 mars 1872, l’homme tente de retrouver sa position sur le devant de la scène artistique, mais ses envois au Salon sont refusés et de nombreuses caricatures le prennent pour cible. Peintures de fruits en décomposition et de truites agonisantes se font les métaphores de l’expérience douloureuse que vit l’artiste.

Réfugié en Suisse en juillet 1873, Courbet tente de reprendre le cours normal de sa carrière. Installé à La-Tour-de-Peilz, il multiplie les variations picturales du Château de Chillon, sujet déjà mille fois représenté mais qui lui assure d’avance le succès. Le monument, où dans la première moitié du XVIe siècle, un certain chevalier, Frédéric de Bonivard, avait été emprisonné pendant quatre ans, devait aussi avoir une signification particulière pour l’artiste tourmenté : Courbet semble associer sa situation d’exilé à l’injuste et douloureux sort de Bonivard, déjà évoqué par Delacroix et Byron. Le peintre parvient à fixer à son art deux objectifs qui semblent inconciliables : exprimer ses sentiments et répondre à l’attente du public. D’un côté, dans la composition et l’angle de vue, Courbet répète ce qui avait déjà été fait en gravure et en photographie ; d’un autre côté, le rendu mélancolique, également sensible dans ses vues du lac Léman, lui est tout à fait personnel. De plus, l’arête rocheuse qui vient fermer à gauche les compositions avec le château, rappellent les falaises d’Ornans, tel un ultime souvenir mélancolique des paysages franc-comtois. Dans plusieurs de ses vues du lac Léman, au fond, face à lui, c’est la rive française du lac qui rougeoie, celle qu’il aimerait atteindre, celle d’un pays que jamais il ne retrouvera.

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