Continuer Cocteau

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Valentin Benoit Un film sur Jean Cocteau, Opium, le film d’Arielle Dombasle présenté l’année dernière à Cannes et dont on attend avec impatience la sortie prochaine en DVD ? Certes, ce long métrage nous montre les amours terriblement complexes entre le poète à l’étoile (Grégoire Colin) et l’un des prodiges des lettres françaises, Raymond Radiguet (Samuel Mercer), mort à vingt ans en laissant quelques strophes et deux admirables romans, Le Diable au corps et Le Bal du comte d’Orgel. Mais cette relation reste un mystère. Quelle dose d’amour, quelle dose d’amitié ? Cocteau, répondent sèchement les érudits, prenait ses rêves pour des réalités; mais les rêves, messieurs, si ductiles qu’ils soient, sont-ils moins durs que les réalités ? Arielle Dombasle ne tranche rien, au contraire, elle enchevêtre, tisse, étire, dilue, condense. Son point de vue est du côté de Cocteau. Presque tous les mots de son film sont de lui, mais les mots seulement ? Je ne dirais pas qu’Opium est un film de Cocteau ; à la manière de sent le pastiche ; l’anglais nous suggère quelque chose, avec la préposition after, je dirais donc que c’est un film continué de Cocteau. Liberté ! Amitié ! Voici les maîtres-mots. Jean Cocteau inventa un certain cinéma qu’il baptisa « cinématographe », un langage filmique, un vocabulaire qu’Arielle Dombasle emploie à son tour. À l’opposé de l’industrie cinématographique : un artisanat. Quelque chose où l’on sent la main et, partant, l’âme. Ainsi, dans son premier film, Le Sang d’un poète, ne connaissant pas le travelling, Cocteau...
Valentin Benoit
Valentin Benoit

Un film sur Jean Cocteau, Opium, le film d’Arielle Dombasle présenté l’année dernière à Cannes et dont on attend avec impatience la sortie prochaine en DVD ? Certes, ce long métrage nous montre les amours terriblement complexes entre le poète à l’étoile (Grégoire Colin) et l’un des prodiges des lettres françaises, Raymond Radiguet (Samuel Mercer), mort à vingt ans en laissant quelques strophes et deux admirables romans, Le Diable au corps et Le Bal du comte dOrgel. Mais cette relation reste un mystère. Quelle dose d’amour, quelle dose d’amitié ? Cocteau, répondent sèchement les érudits, prenait ses rêves pour des réalités; mais les rêves, messieurs, si ductiles qu’ils soient, sont-ils moins durs que les réalités ? Arielle Dombasle ne tranche rien, au contraire, elle enchevêtre, tisse, étire, dilue, condense. Son point de vue est du côté de Cocteau. Presque tous les mots de son film sont de lui, mais les mots seulement ? Je ne dirais pas qu’Opium est un film de Cocteau ; à la manière de sent le pastiche ; l’anglais nous suggère quelque chose, avec la préposition after, je dirais donc que c’est un film continué de Cocteau.

Liberté ! Amitié ! Voici les maîtres-mots. Jean Cocteau inventa un certain cinéma qu’il baptisa « cinématographe », un langage filmique, un vocabulaire qu’Arielle Dombasle emploie à son tour. À l’opposé de l’industrie cinématographique : un artisanat. Quelque chose où l’on sent la main et, partant, l’âme. Ainsi, dans son premier film, Le Sang dun poète, ne connaissant pas le travelling, Cocteau fit l’inverse et tira son personnage, debout sur une planche à roulettes, vers la caméra. Toute sa poétique est dans cette spontanéité. Dans son film le plus célèbre, La Belle et la Bête, il réutilisa ce procédé que certains qualifieront d’amateur. Liberté, pour ainsi dire, du fait main et de l’amicalement fait. Dans son dernier film, Le Testament dOrphée, on voit (comme dans Le Sang dun poète d’ailleurs) certaines célébrités, Pablo Picasso, Serge Lifar, Françoise Sagan, Charles Aznavour… La chose était toute simple pour Cocteau : il n’avait pas convié ces personnes parce qu’elles étaient célèbres, pour valoriser son casting, mais parce qu’elles étaient ses amis et qu’il les voulait avec lui. On peut en dire autant d’Arielle Dombasle et de son film, qui est en fait une comédie musicale, où Méliès semble croiser Fassbinder. C’est une bouffée poétique dans un monde mercantile. Un film vaporeux, diapré, asymétrique, où la couleur alterne avec le noir et blanc, où les fripes voisinent avec les pièces couture, où le carton peint, blanc sur brun, vaut mieux que tout. On devine que le tournage fut aventureux et gai, et on en reçoit en considérant le résultat, comme d’une étoile lointaine, morte peut-être, l’enthousiasme explosif. Arielle Dombasle n’a pas souhaité la reconstitution mais la continuation, s’attachant à l’esprit, non à la lettre. Coco Chanel (Audrey Marnay) rousse ? Gageons que cela lui aurait plu. Philippe Katerine joue Nijinski… Le chanteur est moins musclé que le danseur, bien sûr, mais tous les deux sont hors-normes. L’anachronisme, l’écart, me semblent sonner juste dans ce film. Cocteau ne se considérait-il pas lui-même comme un mensonge disant toujours la vérité ?

Radiguet avait les cheveux plutôt foncés. Était-il seulement beau ? Ici, il est manifestement blond, plein de mèches, les dents espacées, la voix claire, la mâchoire forte. C’est un petit faune cabriolant, insolent et gracieux, un « animal rimbaldien » comme il est dit dans le film. Arielle Dombasle, par ce choix de prime abord étonnant, semble corriger une imprécision du destin, inscrivant justement Radiguet à la suite de ces êtres de lumière qui hantèrent et stimulèrent, sans se laisser prendre, certains grands esprits pleins d’ombre. La présence dans ce film de Marisa Berenson me suggère un parallèle avec le bijou de Visconti, Mort à Venise, dans lequel elle avait déjà joué, petite-fille de cette autre amie de Cocteau, Elsa Schiaparelli. Au début d’Opium, au bord de l’eau, Radiguet apparaît au poète comme un nouveau Tadzio, confiant en sa beauté, son intelligence et sa destinée, proprement ravageur et d’ores et déjà insaisissable. S’ensuivent un combat comme celui qui lia Jacob et l’ange ; une sensualité qui semble toujours repoussée; des contemplations et des déclarations; une « sieste extrême » aussi, celle de l’opium qui permet et d’oublier et de mieux voir. Que faire d’un ange ? Radiguet mourut après avoir rendu Cocteau jaloux, fou d’amour et de résignation, remportant sa grâce et laissant le poète plus créateur mais plus béant que jamais. L’amitié, qui est une des formes de l’amour impossible, est chantée haut dans ce film savoureux.

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